Seul avec mon appareil.
Le sentiment d'échec est quelque chose d'inhérent à la photographie animalière.
La où la chance, le travail de prospection et la connaissance du territoire sont les trois axes primordiaux pour réussir a trouver des sujets à photographier.
La réussite et l'échec sont les deux embranchements possibles quand on sort de chez soi avec pour objectif de photographier la faune sauvage.
La plupart d'entre nous sacrifions une grasse matinée sans hésiter dans l'espoir de profiter de l'euphorie de vie matinale qui émane des forêts, marais et parcs.
À l'époque où je débutais, le sentiment d'échec n'en était que décuplé lorsque je rentrais chez moi avec l'absence de nouvelles photos dans ma carte mémoire.
Avec le temps, on apprend peu à peu la normalité de ce sentiment et on apprend à l'accepter.
On l'accepte parce que cette sensation est primordiale pour apprécier encore plus les journées où la nature est généreuse avec nous.
Si l'échec nous était inconnu, alors la satisfaction de la réussite aurait un goût banal en bouche.
Je parle de ça, car de plus en plus, les réseaux sociaux nous poussent à performer.
Il faut pouvoir publier de manière soutenue le plus de clichés possibles. Il faut réussir à photographier les oiseaux du moment et certaines espèces particulières pour être à la page.
On en oublie presque qu'avant de faire de la photographie, nous acceptions sans sourciller de rentrer chez nous sans avoir rien vu.
Le chant des oiseaux et quelques traces nous suffisaient à nous émerveiller.
Quand on peut voir ce que fait le voisin, on rentre indéniablement dans une forme de concurrence indirecte qui nous pousse à prendre des photos pour être productif.
On en oublie de le faire pour nous.
Je vois ça comme quelqu'un qui n'a pas vu la dernière série Netflix et qui veut à tout prix rattraper son retard pour pouvoir en parler.
À certaines périodes de l'année, le feed des photographes animaliers est saturé de photos des mêmes espèces.
Bien évidemment, il y a une saisonnalité évidente vis-à-vis de la migration et des habitudes de certains oiseaux et mammifères.
Mais malgré tout, je perçois toujours une forme de course effrénée pour produire les photos du moment.
C'est le cas en ce moment avec les chouettes et hiboux et ça le redevient au début du printemps avec les renardeaux par exemple.
Comme s'il était indispensable de prendre ces espèces en particulier. Au détriment d'autres qui sont toutes autant intéressantes.
Ce sont déjà de base des sujets fragiles et vulnérables à cette époque-là, et la pression sur eux est constamment accentuée, car ça devient les sujets stars du moment.
Faites le test, allez-vous promener en nature sans votre boîtier.
Comme moi, vous allez être frustré si vous croisez une espèce que vous n'observez pas souvent.
Avec une lumière de fou en plus...histoire de pleurer un bon coup.
Malgré cette frustration, cela entraîne à accepter l'échec.
Et ça remet dans la tête que les plus belles rencontres sont souvent celles dont on ne s'attend pas.
Peut-être suis-je quelqu'un de profondément aigri qui n'aime pas voir dix fois la même photo sur mon feed.
Mais je pense que j'aime juste les publications qui me laissent imaginer la spontanéité d'une rencontre.
Et surtout les échecs qui ont précédé celle-ci avant qu'elle se produise.
Alors avec du recul, j'aime toujours autant sacrifier mes grasses matinées pour ne rien voir.
Car ne rien voir, c'est malgré tout passer du temps avec soi-même en nature.